NOTE
Ce texte a été numérisé par un système de reconnaissance optique de caractères. Des erreurs de lecture peuvent s’y être glissées. | |||||||||||||||||||||
Les variations régionales dans le pourcentage de réponses multiples sont encore plus importantes que les variations selon l'âge. Grâce à une compilation spéciale du recensement de 1986, nous disposons de données détaillées pour cette dernière année. Le tableau 1.2 montre que la fréquence des langues multiples est relativement faible en Gaspésie et dans la région de l'intérieur, mais que, par contre, elle est élevée dans la région de Montréal et dans l'Outaouais; à Montréal-Îles, le pourcentage de déclarations de langues d'usage multiples dépasse même 8 %. À des niveaux aussi élevés, il est évident que le processus de répartition de ces langues multiples entre langues uniques peut avoir un impact significatif sur le pourcentage total (après répartition) d'un groupe linguistique. Pour illustrer ce dernier point, nous présentons également dans le tableau 1.2 le pourcentage de déclarations « français et anglais » et le pourcentage de déclarations multiples où apparaît le français (c'est-à-dire le total des pourcentages de déclarations français-anglais, français-autre et français-anglais-autre). On peut ainsi voir que le pourcentage de francophones dans certaines régions risque d'être, de façon significative, influencé par la part de ces déclarations multiples qui sera attribuée au français. Nous connaissons, pour l'ensemble du Québec, la règle de répartition des déclarations multiples appliquée au recensement de 1981 : les déclarations français-anglais ont été réparties pour moitié à chacune de ces deux langues; les déclarations français-autre respectivement pour 42 % et 58 %; les déclarations anglais-autre respectivement pour 38 % et 62 %, et les déclarations Pour pouvoir comparer les chiffres de 1986, pour lesquels aucune répartition n'a été effectuée (sauf pour la population totale du Québec), à ceux de 1981, nous ne pouvons que tenter nous-même d'imputer (pour chaque groupe d'âge et région) les diverses catégories de déclarations multiples. Cette opération est d'ailleurs nécessaire non seulement à des fins de comparaison avec les recensements antérieurs, mais également dans le cadre du processus de prévision. Il serait en effet très discutable, et peu significatif, de faire des prévisions démolinguistiques pour chacune des trois langues uniques et pour chacune des catégories de langues multiples. Pour distribuer entre les trois groupes linguistiques (francophones, anglophones et allophones) les déclarations de langues d'usage multiples issues du recensement de 1986, nous avons utilisé un algorithme de répartition qui procède par itération. Dans une première étape, le nombre de déclarations d'une catégorie donnée de déclarations multiples a été, pour chaque groupe quinquennal d'âge et chaque région, réparti selon les pourcentages mentionnés précédemment. Comme ces pourcentages ne sont valables qu'a posteriori, et pour l'ensemble de la population du Québec seulement, il est normal que, après totalisation sur tous les groupes linguistiques, on ne retrouve pas l'effectif régional dans chaque groupe d'âge, ni, après totalisation sur tous les âges et toutes les régions, l'effectif total selon le groupe linguistique pour l'ensemble du Québec, tels qu'ils ont été obtenus par Statistique Canada (1988, p. 25). Ces deux types d'effectif représentent en fait les contraintes que notre processus de répartition doit respecter. Une seconde itération permet de redistribuer la différence entre ces groupes d'effectif et les résultats de la première itération, mais là encore, rien ne garantit le respect de toutes les contraintes. Par itérations successives, on parvient finalement à estimer les effectifs selon le groupe d'âge, la région et le groupe linguistique qui satisfont à toutes les données connues. Les non-réponses et les déclarations de langues multiples ne constituent pas les seuls problèmes de déclaration. D'autres erreurs, moins visibles, influencent sûrement les réponses uniques, pour des raisons variées telles qu'une mauvaise compréhension de la question ou la tendance d'un individu ou d'un groupe à y répondre, par intérêt, dans un sens différent de celui demandé. Le nombre ainsi que le sens de ces déclarations erronées varient sans doute selon le contexte politique et linguistique. Il est cependant peu probable, du moins pour les derniers recensements, que l'impact de ces déclarations erronées sur la composition linguistique de la population ait été significatif. Par contre, en ce qui concerne la question relative à la connaissance des langues officielles, question qui nous permet d'évaluer l'importance du bilinguisme français-anglais, plusieurs ont émis l'hypothèse que la proportion de personnes bilingues observée parmi les Québécois du groupe anglais serait surestimée (à cet égard, voir, par exemple, Lamy, 1977, et Paillé, 1986, p. 3740). Le souci de Statistique Canada d'assurer la confidentialité des résultats peut également influencer la signification de certaines données. Le processus d'arrondissement aléatoire utilisé pour garantir cette confidentialité peut avoir un certain impact lorsque le nombre de personnes visées est peu élevé (par exemple, lorsqu'il s'agit de certaines caractéristiques relatives aux groupes anglophones et allophones de certaines régions). Au total, plusieurs facteurs viennent donc mettre en cause la qualité des données de nature linguistique recueillies au moment du recensement et la comparabilité de ces données dans le temps. Si l'impact de certains d'entre eux est sans doute marginal, il n'en va pas de même pour tous. Le sousdénombrement et les déclarations de langues d'usage multiples constituent deux difficultés non négligeables. Malheureusement, même si l'on dispose d'une certaine information générale sur l'importance de ces deux phénomènes, très peu est connu quant à la fréquence avec laquelle ils peuvent se manifester à l'intérieur de chacun des sous-groupes de population qui, dans le cadre d'une prévision démolinguistique régionale, sont cruciaux, à savoir le groupe linguistique, l'âge et la région (simultanément). Il serait donc pour le moins téméraire de tenter de corriger nos données de base pour le sousdénombrement, tout comme il nous faudra accepter que la répartition des déclarations de langues d'usage multiples puisse être une source possible d'erreur. Dans cette analyse critique des données à notre disposition, il ne faut cependant pas oublier l'objectif premier de notre démarche, à savoir l'élaboration d'hypothèses sur le comportement démolinguistique futur de la population québécoise, et l'obtention de prévisions crédibles quant à l'évolution de l'effectif de chaque groupe linguistique. Un sens critique aigu sera indispensable lors de l'analyse de l'évolution du comportement passé et de l'interprétation des résultats de nos projections pour le futur. Il est fort douteux cependant que les tendances fondamentales qui se dégageront de cette analyse et de cette prévision puissent, de façon significative, être biaisées par les imperfections inévitables des données dont nous disposons.
Le tableau 1.3 présente, pour l'ensemble du Québec découpé en huit régions (dont trois forment l'« ensemble de Montréal ») ainsi que pour le reste du Canada, l'évolution entre 1971 et 1986 de la population ventilée selon la langue d'usage. L'examen des chiffres produits dans ce tableau permet de dégager une tendance générale au renforcement du groupe francophone sur tout le territoire québécois, sauf à Montréal; cette tendance s'est cependant fortement ralentie en fin de période. Alors qu'entre 1971 et 1981 le pourcentage de francophones au Québec avait augmenté de façon significative (de 80,8 % à 82,5 %), cette hausse est devenue marginale (de 82,5 % à 82,8 %) entre 1981 et 1986. Pendant la même période, le pourcentage d'allophones a également augmenté (de 4,5 % en 1971 à 4,9 % en 1986). Cette « francisation » croissante du Québec, jointe à l'augmentation de la part des allophones, implique évidemment une « désanglicisation » relativement rapide : le pourcentage des anglophones est passé de 14,7 % en 1971 à 12,3 % en 1986, avec cependant un ralentissement du déclin au cours du dernier lustre. On notera que, dans le reste du Canada, la tendance est exactement opposée : une anglicisation croissante y va de pair avec une baisse relativement rapide du pourcentage aussi bien de francophones que d'allophones.
La francisation du Québec s'est manifestée dans toutes les régions, sauf dans les îles de Montréal et Jésus (et dans la macrorégion de l'« intérieur », centrée sur la région de Québec, où il y a eu stagnation). Les francophones représentaient en 1986 un peu moins de 63 % de la population des îles de Montréal et Jésus, où les anglophones étaient un peu moins du quart et les allophones, près de 13 %. Si l'on regroupe les îles de Montréal et Jésus avec le « reste de la région métropolitaine élargie de Montréal », on obtient, toujours pour 1986, un pourcentage de francophones égal à La part des anglophones dans la population totale de chaque région varie considérablement : cette part est marginale (entre 2 % et 4 %) dans les régions de l'intérieur, de la Gaspésie et du Nord, mais s'élève à près de 19 % dans l'Outaouais et à plus de 24 % dans l'ensemble formé par les îles de Montréal et Jésus. Quant aux allophones, ils ne représentent une part importante de la population que dans les îles de Montréal et Jésus, où leur pourcentage s'élevait en 1986 à près de 13 % (contre 10,5 % en 1971). La seconde région où ce groupe est le plus représenté est la région Nord, où cependant à peine 3 % de la population est allophone (rappelons que, selon notre découpage territorial, cette région s'étend de l'Abitibi-Témiscamingue à Charlevoix). Ailleurs, les allophones représentent seulement entre 0 % (Gaspésie) et 2 % (reste de la région métropolitaine de Montréal et Outaouais). Plutôt que de considérer la structure linguistique de chaque région, on peut également examiner la structure régionale de chaque groupe linguistique, c'est-à-dire en quelque sorte la façon dont ces groupes se répartissent sur le territoire québécois. Le tableau 1.4 présente, pour chacun des trois groupes linguistiques, la part de chaque région dans le total de l'effectif québécois de ce groupe. Les chiffres de ce tableau montrent à quel point la population allophone est concentrée, puisque La population anglophone est également, au plan régional, très concentrée, mais moins que la population allophone. Plus des trois quarts des anglophones du Québec résident dans la région métropolitaine de Montréal, chacune des autres régions accueillant entre le dixième et le quart des anglophones établis en dehors de celle-ci.
Si la région métropolitaine de Montréal concentre donc près des neuf dixièmes de la population allophone du Québec, et plus des trois quarts de la population anglophone, elle n'accueille par contre que 40 % de la population francophone. Le contraste est encore plus manifeste si l'on ne considère que les îles de Montréal et Jésus : celles-ci reçoivent 81 % des allophones, 62 % des anglophones, mais moins de 24 % des francophones du Québec. Alors que les allophones non montréalais (en dehors de la région métropolitaine de Montréal) se trouvaient pour la plupart dans le Nord, et les anglophones non montréalais, surtout dans l'Outaouais et les Cantons de l'Est, les francophones non montréalais résident pour la plupart dans la vaste région de l'intérieur (qui, à elle seule, accueille 340 000 francophones de plus que les îles de Montréal et Jésus) et dans la non moins vaste région Nord; ces deux régions ont autant de francophones que la région métropolitaine de Montréal. En matière d'évolution, la tendance spatiale la plus nette est la diminution du poids relatif de la région métropolitaine de Montréal, surtout des îles de Montréal et Jésus. Cette tendance est cependant limitée apparemment à la décennie 1970 (on parlait alors de « contre-urbanisation » et de désurbanisation), car entre 1981 et 1986, il semble il y avoir eu une certaine stabilisation. Ce déclin du poids relatif de Montréal au cours des années 1970 a été sensible dans une mesure relativement égale dans chacun des groupes linguistiques. Au total, on peut donc résumer l'évolution de la composition linguistique (langue d'usage) du Québec en soulignant que la francisation rapide observée au cours des années 1970 a fait place, entre 1981 et 1986, à un très net ralentissement de la croissance du pourcentage de francophones, et que cette francisation s'est faite uniquement au détriment des anglophones, les allophones connaissant une augmentation régulière de leur part. Cette francisation du Québec a été accompagnée du déclin significatif du poids démographique de la région métropolitaine de Montréal, déclin qui n'a cependant pas empêché qu'en 1986, la grande majorité des allophones (près des neuf dixièmes) et des anglophones (plus des trois quarts) résidaient dans cette région, où, par contre, ne se trouvaient que 40 % des francophones du Québec. En ce qui concerne les variables à retenir dans le cadre d'une prévision démolinguistique pour le Québec et ses régions, nous avions deux décisions importantes à prendre : fallait-il effectuer des prévisions selon la langue maternelle ou la langue d'usage et combien de groupes linguistiques devions-nous considérer? et jusqu'où fallait-il désagréger selon l'âge et le sexe? Nous avons déjà justifié pourquoi nous avons choisi de faire des prévisions selon la langue d'usage, pour trois groupes. Il nous faut maintenant examiner jusqu'où il faut aller dans les prévisions selon l'âge et le sexe. Il est évident que l'âge est une catégorie fondamentale dans toute prévision. Le comportement démolinguistique d'une population est étroitement lié à l'âge des individus qui font partie de cette population, et l'avenir démographique de toute population est, dans une large mesure, déterminé par sa structure par âge actuelle. Considérer des grands groupes d'âge n'est guère significatif, ni pour l'analyse du comportement, ni pour la prévision. Par ailleurs, adopter une désagrégation très fine (par exemple, par année d'âge), si elle peut être intéressante dans le cadre de l'analyse du comportement de fécondité et de mortalité, entraîne très rapidement des problèmes de signification statistique dès qu'on introduit les catégories linguistiques et régionales, indispensables dans notre cas. Nous avons donc opté pour une désagrégation en groupes quinquennaux d'âge, suivant en cela la procédure adoptée par la plupart des auteurs. Utiliser des groupes quinquennaux d'âge présente d'ailleurs le très important avantage d'assurer la cohérence avec la projection des effectifs par bond de cinq ans, puisque l'effectif d'un groupe quinquennal d'âge donné se retrouve alors automatiquement dans le groupe quinquennal suivant. Nous avons donc effectué notre analyse du passé et nos prévisions avec 17 groupes quinquennaux d'âge (de 0-4 ans à 80-84 ans) et un dernier groupe « ouvert » (comprenant l'ensemble des personnes âgées de 85 ans et plus), soit un total de 18 groupes d'âge (soulignons qu'il s'agit toujours d'âge révolu). Le fait d'avoir un dernier groupe ouvert peut évidemment poser quelques problèmes d'interprétation; comme ce groupe est, en tout état de cause, peu nombreux et qu'il n'est guère significatif en matière de fécondité, migration et mobilité linguistique, l'impact de ce facteur sur les résultats des prévisions ne peut qu'être négligeable. Avec 18 groupes d'âge, huit régions et trois groupes linguistiques, nous risquons de nous retrouver rapidement avec des petits effectifs non significatifs au plan statistique. Ce danger est surtout élevé lorsqu'il s'agit de la migration, et dans le cas de groupes linguistiques dont l'effectif total est déjà peu élevé. Par exemple, désagréger en 18 groupes d'âge et huit régions, soit en 144 sous-groupes, les 315 000 allophones recensés en 1986 au Québec implique qu'en moyenne, chaque sous-groupe comprendrait à peine 2 000 personnes; comme 80 % de ces allophones sont concentrés dans une région (Montréal), en réalité cela signifie que, dans plusieurs régions, chaque sous-groupe n'aura en moyenne que quelques centaines de personnes. Étudier le comportement démolinguistique de ces petits groupes d'effectif et, surtout, chercher à dégager de l'évolution (nécessairement erratique, vu les petits nombres) de ce comportement des tendances à considérer dans la prévision deviennent hautement problématiques. Il en va de même pour la migration qui, si l'on veut obtenir des prévisions régionales cohérentes entre elles, doit nécessairement être analysée et prévue en considérant à la fois la région d'origine et la région de destination. La prise en compte de la migration implique donc, au total, 1 152 sous-groupes (18 groupes d'âge, multipliés par 64 paires origine-destination). Dans ce cas, la probabilité d'avoir pour certains groupes d'âge et pour certaines paires origine-destination des chiffres (et donc des évolutions) non significatifs est encore plus grande. Ce souci de ne pas nous trouver trop souvent avec un effectif — et donc un taux, une évolution et une prévision — qui, au plan statistique, n'est pas significatif nous a amenés à négliger la désagrégation de la population selon le sexe. Une telle omission se justifie cependant pour des raisons autres que celles liées aux problèmes des petits effectifs. À l'exception de la mortalité, pour laquelle le sexe est évidemment une variable fondamentale, les autres phénomènes démographiques peuvent être valablement traités en faisant abstraction de la variable sexe. Étant donné que le rapport de masculinité (l'effectif masculin rapporté à l'effectif féminin) est presque toujours très proche de l'unité (sauf précisément aux âges avancés où la mortalité est importante), l'indice de reproduction (où le nombre de naissances est rapporté à la population totale) est, à toutes fins utiles, la moitié de l'indice de fécondité (où le nombre de naissances est rapporté à la seule population féminine). De même, la documentation sur la migration a amplement démontré que, sauf en des circonstances exceptionnelles, le comportement de la population masculine est très proche de celui de la population féminine. Cela est moins vrai en ce qui concerne la mobilité linguistique, mais la manière dont nous introduirons celle-ci dans la procédure de prévision éliminera, comme nous le verrons dans le chapitre 5, une grande partie des limitations dues à l'absence de distinction entre le comportement linguistique des deux groupes. Ne pas distinguer la population féminine de la population masculine dans une prévision démographique ne porte à conséquence que si la période de projection est très longue. En effet, à court et moyen termes (une ou deux générations), la structure selon le sexe d'une population ne se modifie guère et, dans ce cas, appliquer des taux « moyens » (moyenne pondérée des taux féminins et des taux masculins) à une population totale (les sexes confondus) donne des résultats très proches de ceux que l'on obtiendrait en travaillant séparément sur les deux populations. Ces divers arguments nous ont donc conduits à négliger la distinction selon le sexe et à nous limiter à la distinction basée sur l'âge. Le tableau 1.5 présente, pour chacune des régions et pour chacun des groupes linguistiques, les principaux indicateurs de la structure par âge, telle qu'elle a pu être observée à partir des résultats du recensement de 1986.
L'âge moyen varie fortement d'une région et d'un groupe linguistique à l'autre. Dans l'ensemble du Québec, les francophones ont en moyenne trois ans de moins que leurs compatriotes anglophones et allophones (33,6 ans contre 36,6), mais dans certaines régions, l'écart entre l'âge moyen des divers groupes linguistiques peut être beaucoup plus élevé (dans la région « périphérie » de Montréal, il est de neuf ans entre le groupe francophone et le groupe allophone, mais déjà ici se pose la question des petits effectifs, allophones en l'occurrence). Certains groupes et certaines régions ont des populations dont l'âge moyen est assez élevé. C'est le cas des îles de Montréal et Jésus, où les trois groupes présentent chacun des âges moyens élevés, mais avec peu de différences entre les groupes. C'est aussi dans cette région que les francophones ont, et de loin, l'âge moyen le plus élevé, alors que c'est dans le reste de la région métropolitaine de Montréal que l'âge moyen des francophones est le plus bas (si l'on excepte les francophones du Nord); ce phénomène est sans doute lié au processus de suburbanisation, qui est essentiellement le fait de ménages jeunes avec enfants quittant les centres urbains à forte densité d'occupation du sol. La population anglophone qui réside en dehors des îles de Montréal et Jésus a souvent un âge moyen élevé : avec une moyenne d'âge aux alentours de 39 ans, les anglophones de la périphérie de Montréal, des Cantons de l'Est et de l'intérieur constituent des communautés particulièrement vieilles. Seuls les allophones de la périphérie et des Cantons de l'Est ont un âge moyen supérieur, mais ici, à nouveau, il faut prendre garde aux petits effectifs. La région Nord est de loin la plus jeune, du moins pour ce qui est de l'âge moyen. Avec une moyenne d'âge de 25 ans, la population allophone de cette région est nettement la communauté régionale et linguistique la plus jeune parmi les 24 considérées ici. Il est clair, une fois de plus, qu'il s'agit ici d'une population allophone très différente de celle qui réside à Montréal. On remarquera que les populations francophones et anglophones du Nord sont également relativement jeunes. Après le Nord, c'est l'Outaouais qui a la population la plus jeune, surtout parmi les francophones et les allophones; le rôle de l'immigration en provenance du reste du Canada qui, dans ce cas, est en fait le résultat de la suburbanisation d'Ottawa, ne doit pas être négligé à cet égard. On remarquera, enfin, que la Gaspésie n'a pas une population particulièrement jeune (sauf pour les très rares allophones qui y résident); comme on le verra, cela s'explique essentiellement par l'émigration (qui concerne surtout les jeunes), dont l'ampleur est toujours considérable, ainsi que par la faible fécondité qui a quasiment rejoint le niveau observé dans l'ensemble du pays. L'âge moyen n'est cependant pas nécessairement l'indicateur le plus significatif de la structure par âge d'une population, car des structures très différentes peuvent produire la même moyenne d'âge. Il peut donc être intéressant d'examiner la part de l'effectif de chaque âge dans la population totale; pour des raisons de brièveté, nous nous limiterons à une répartition entre trois grands groupes d'âge, que l'on peut considérer comme significatifs en termes démographiques aussi bien qu'en termes socio-économiques: les 0-19 ans, les 20-64 ans et les 65 ans et plus. Si l'on évalue le niveau de « vieillissement » d'une population sur la base du pourcentage de personnes âgées (en l'occurrence de 65 ans et plus), on peut conclure que, tout comme pour l'âge moyen, ce sont les populations anglophones et allophones qui sont les plus âgées : pour l'ensemble du Québec, ces deux groupes ont entre 11 % et 13 % de leur population qui est âgée de 65 ans et plus, alors que pour le groupe francophone, ce pourcentage est inférieur à 9 %. Nous sommes encore loin des pourcentages de personnes âgées observés dans certaines populations européennes, où leur part est souvent proche de Dans certaines régions et pour certains groupes linguistiques, le pourcentage de personnes âgées est particulièrement important : plus de 14 % des anglophones de l'intérieur et de la Gaspésie ont 65 ans et plus, et ce pourcentage monte à plus de 16 % à la périphérie de Montréal, et même à 19 % dans les Cantons de l'Est; c'est dans le reste de la région métropolitaine de Montréal que la part des personnes âgées dans la population anglophone est la plus faible. Les personnes âgées représentent une faible part de la population allophone, sauf sur les îles de Montréal et Jésus (où se trouvent la plupart d'entre elles), en périphérie de la région montréalaise et dans les Cantons de l'Est. En ce qui concerne la population âgée francophone, dans la plupart des régions sa part est relativement proche de celle observée au plan national (aux alentours de 9 %), sauf dans le Nord et l'Outaouais où elle est nettement plus faible (moins de En général, les groupes linguistiques et les régions où la part des gens âgés est relativement élevée (faible) sont aussi ceux où la part des jeunes est relativement faible (élevée). Pour l'ensemble du Québec, de 25 % (chez les anglophones) à un peu plus de 28 % (chez les francophones) de la population est âgée de moins de 20 ans. Il y a cependant de fortes variations régionales. Le pourcentage le plus élevé de jeunes se trouve parmi la population allophone du Nord (plus de la moitié de ce groupe y a moins de 20 ans). À l'autre extrême, le groupe linguistico-régional au sein duquel les jeunes sont relativement les moins nombreux sont les francophones des îles de Montréal et Jésus et les anglophones de l'intérieur (moins de 23 % dans les deux cas); nous n'avons pas tenu compte ici du pourcentage relatif aux allophones de la périphérie montréalaise, à cause du faible effectif de ce groupe. Puisqu'une part élevée (faible) des personnes âgées (65 ans et plus) s'accompagne d'une part faible (élevée) des jeunes (0-19 ans), il n'est guère surprenant d'observer que la part des 20-64 ans varie relativement peu entre groupes linguistiques et entre régions. Pour l'ensemble du Québec, cette part varie entre 62,0 % pour les anglophones et allophones, et 62,8 % pour les francophones. La plupart des régions ne s'écartent pas très fortement de ces pourcentages, sauf la Gaspésie qui, pour chacun des trois groupes linguistiques, a un pourcentage de 20-64 ans nettement moindre. C'est parmi les allophones de la région Nord que ce pourcentage est le plus faible (moins de 45 %), essentiellement à cause du nombre relativement élevé de jeunes, et c'est parmi les francophones des îles de Montréal et Jésus qu'il est le plus élevé (un peu moins de 67 %), cette fois à cause surtout de la faible part des jeunes. Si l'on interprétait les pourcentages de ces trois grands groupes d'âge en termes de rapports entre les « actifs » (les 20-64 ans) et les « inactifs » (les 0-19 ans et les 65 ans et plus), on pourrait conclure (de façon très approximative, car, bien sûr, les jeunes et les gens âgés ne sont pas tous inactifs, comme les personnes de 20-64 ans ne participent pas toutes à la création du produit national) que, du moins en règle générale, chacune des régions et chacun des groupes linguistiques dans chaque région ont un rapport entre actifs et inactifs relativement semblable (sous réserve du fait que la « charge » des inactifs âgés est normalement beaucoup plus lourde que celle des inactifs jeunes). Plutôt que d'examiner l'âge moyen de chaque groupe linguistique, ou la part de chaque groupe d'âge dans la population totale ou encore le rapport entre les groupes d'âge principalement actif et les groupes d'âge principalement inactif, on peut analyser le rapport entre les deux groupes d'âge inactif, plus précisément le rapport entre celui des gens âgés et celui des jeunes. Ce rapport entre l'effectif de la population de 65 ans et plus et celui de la population de moins de 20 ans est appelé l'indice de vieillissement, et représente sans doute l'indicateur le plus pertinent pour étudier le niveau et l'évolution du degré de « vieillissement » démographique d'une population. Une population peut en effet vieillir « par le bas » de la « pyramide » des âges (déclin du pourcentage de jeunes) aussi bien que « par le haut » (croissance de la part des individus âgés). Pendant longtemps, le vieillissement des populations s'est effectué essentiellement par le bas, c'est-à-dire par la chute de la fécondité. Aujourd'hui, avec les bas niveaux de fécondité observés dans la plupart des pays les plus industrialisés, ce vieillissement se fait de plus en plus par la croissance de la proportion des personnes âgées. L'indice de vieillissement permet de tenir compte simultanément des deux processus. Plus cet indice est élevé, plus le nombre d'individus âgés est élevé par rapport au nombre de jeunes; plus il est bas, moins il y a d'individus âgés pour chaque jeune. La dernière colonne du tableau 1.5 présente l'indice de vieillissement de chaque groupe linguistique dans chacune des régions, toujours pour l'année 1986, dernière année connue. Cet indice confirme que la population francophone du Québec est effectivement le groupe linguistique le plus jeune, avec environ une personne âgée pour trois jeunes, alors que les anglophones constituent la population la plus « vieillie », avec une personne âgée pour deux jeunes. L'indice des allophones se situe à peu près à mi-chemin entre les deux. Il est intéressant de comparer le niveau de cet indice en 1986 avec celui observé lors de recensements précédents. Lorsqu'on compare l'indice de vieillissement de 1986 avec celui de 1981, on observe une très rapide augmentation de l'indice chez les francophones (de 24 à 31) et chez les anglophones (de 39 à 50), alors que celui des allophones ne croît que légèrement (de 38 à 41). Nous ne disposons malheureusement pas des données permettant de faire le calcul pour 1971, année pour laquelle seul l'indice selon la langue maternelle est connu (Termote et Gauvreau, 1988, p. 54). En ce qui concerne le groupe francophone, dont l'effectif est très proche de celui du groupe de langue maternelle française, on peut cependant raisonnablement supposer que l'indice selon la langue maternelle française vaut également pour la langue d'usage française. On voit alors que le groupe francophone est passé d'un indice de 16 (un individu âgé pour six jeunes) en 1971 à un indice de 24 (un pour quatre) en 1981, et à un indice de 31 (un pour trois) en 1986. L'indice de vieillissement de la population francophone du Québec a donc doublé en quinze ans. Au plan régional, nous pouvons également supposer que l'indice de vieillissement pour le groupe de langue maternelle française correspond à celui de la population de langue d'usage française, et ainsi comparer nos chiffres obtenus précédemment (Termote et Gauvreau, 1988, p. 53) pour 1981 avec ceux relatifs à 1986 tels que présentés dans le tableau 1.5. On voit alors que le vieillissement démographique a été particulièrement rapide parmi la population francophone des îles de Montréal et Jésus, où l'indice est passé de 34 à 46, soit une augmentation de 35 % en cinq ans; or, cette région était aussi celle qui en 1981 avait l'indice le plus élevé. Dans les autres régions, la croissance de l'indice a été relativement semblable (entre 26 % et 29 %), sauf dans la région Nord, où elle est du même ordre qu'à Montréal (mais cette région avait aussi en 1981 l'indice le plus bas). Pour les groupes anglophones et allophones, aucune comparaison avec des données antérieures n'est possible, car dans ces deux cas, la différence entre l'effectif selon la langue maternelle et celui selon la langue d'usage devient importante. Il nous faut donc limiter le reste de notre discussion sur le degré de vieillissement à la comparaison entre groupes linguisticorégionaux pour la seule année 1986. Les allophones de la périphérie de Montréal et des Cantons de l'Est, ainsi que les anglophones de cette dernière région sont les groupes pour lesquels l'indice de vieillissement est le plus élevé; les anglophones de la périphérie montréalaise et de l'intérieur ont également des indices élevés. À l'autre extrémité, les trois groupes linguistiques de la région Nord ont chacun des indices très faibles (inférieurs à 20), de même que les allophones de l'Outaouais et les francophones du reste de la région métropolitaine de Montréal. Le groupe le plus jeune en termes d'indice de vieillissement est le groupe des allophones du Nord, parmi lesquels il y avait en 1986 dix jeunes pour un individu âgé, alors que le groupe dont l'indice était le plus élevé (si l'on excepte les indices relatifs aux petits effectifs) est le groupe anglophone des Cantons de l'Est, au sein duquel il y a deux individus âgés pour trois jeunes. Au total, on peut donc conclure que, quel que soit l'indicateur adopté, le groupe francophone présente la structure par âge la plus jeune et le groupe anglophone, la structure la plus vieille; cela vaut également dans les différentes régions, sauf dans le Nord où c'est la population allophone qui est la plus jeune. Si l'on se base sur l'évolution de l'indice de vieillissement entre 1981 et 1986, l'écart relatif entre le niveau de vieillissement des groupes francophones et anglophones ne devrait pas se modifier de façon significative dans un avenir prochain, ces deux groupes vieillissant chacun très rapidement, mais au même rythme. Par contre, grâce à l'immigration internationale et à sa surfécondité relative, la population allophone connaît un vieillissement beaucoup moins rapide. Jusqu'à présent, les études démolinguistiques utilisant des données canadiennes adoptaient, par la force des choses, une définition très large de ce qu'était le bilinguisme : était bilingue la personne qui, au recensement, avait déclaré avoir une connaissance des deux langues officielles suffisante pour lui permettre de soutenir une conversation dans l'une et l'autre. Il s'agissait là d'.une définition particulièrement « ouverte » du phénomène, puisque ce bilinguisme, même s'il était limité aux seules langues française et anglaise, n'exigeait le respect que d'un seul critère, soit la capacité, d'ailleurs subjectivement déterminée par le répondant lui-même, de « soutenir une conversation ». Depuis le recensement de 1986, nous disposons en fait d'une seconde définition du bilinguisme, puisqu'il est maintenant admis qu'un individu puisse avoir deux ou plusieurs langues d'usage : dans la mesure où il « parle habituellement à la maison » plus d'une langue, cet individu est évidemment bilingue. Il s'agit là en quelque sorte de la définition la plus exigeante, mais aussi la plus pertinente du bilinguisme, par opposition à celle relative à la simple « connaissance » subjective des deux langues officielles. Dans le cadre de la préparation de projections démolinguistiques, il est bien sûr important de cerner adéquatement non seulement l'amplitude du bilinguisme, mais également sa signification. On peut en effet raisonnablement supposer qu'une personne qui est capable de soutenir une conversation dans l'une et l'autre des deux langues officielles, et a fortiori une personne qui est habituée à parler plusieurs langues à la maison, est d'autant plus susceptible d'effectuer un transfert linguistique. En ce sens, le bilinguisme au sein d'une population peut être considéré comme une étape quasiment nécessaire vers un transfert linguistique. Mais cette interprétation peut être renversée. On peut en effet considérer que le bilinguisme est aussi le résultat d'un transfert déjà effectué : après avoir effectué un transfert linguistique, un individu continuera sans doute à être capable de soutenir une conversation dans la langue qu'il n'utilise plus comme principale langue d'usage, et il peut même se trouver dans une situation où il utilise plusieurs langues d'usage à la maison, tout en privilégiant une « nouvelle » langue d'usage pour l'ensemble de ses activités (sociales, professionnelles, etc.). Encore faudrait-il définir ce que l'on entend par transfert linguistique. Pour des raisons essentiellement de disponibilité statistique, on considère généralement dans les études démolinguistiques canadiennes et québécoises qu'il y a transfert linguistique lorsqu'un individu n'utilise plus sa langue maternelle comme langue d'usage. Il s'agit là d'une définition très restrictive et certes pas la plus appropriée à l'objectif que nous poursuivons. En effet, puisque nos projections démolinguistiques portent sur la langue d'usage, ce que nous devons prévoir, ce sont les transferts linguistiques d'une langue d'usage donnée vers une autre langue d'usage effectués au cours de chacune des périodes de prévision (quinquennales en l'occurrence). Les données disponibles sur les transferts linguistiques portent cependant uniquement sur les transferts de langue maternelle à langue d'usage, sans que l'on sache quand ces transferts ont eu lieu; tout ce qu'on sait, c'est qu'ils ont eu lieu entre le moment de la naissance de l'individu et le moment du recensement. Il est très difficile, à partir de ce genre de données, d'estimer combien de transferts d'une langue d'usage donnée vers une autre langue d'usage ont eu lieu au cours d'une période précise. Par contre, les données sur le bilinguisme peuvent se révéler utiles à cet égard, dans la mesure où elles nous fournissent une indication du nombre de personnes susceptibles, à un moment donné, de changer de langue d'usage. C'est dans cette perspective que nous analysons, dans cette section, les données disponibles sur le bilinguisme « cognitif » (connaissance des langues officielles) et sur le bilinguisme « d'usage » (langues d'usage multiples). Comme l'a récemment rappelé Lachapelle (1991, p. 23), on peut mettre en doute la comparabilité des données sur la connaissance des langues issues des recensements antérieurs à 1971 avec celles des recensements des deux dernières décennies. Nous nous limiterons donc aux données de la période 1971-1986. Le bilinguisme de « connaissance » du français et de l'anglais avait beaucoup augmenté au Québec entre 1971 et 1981 (Termote et Gauvreau, 1988, p. 59-60), et il a continué à progresser plus ou moins au même rythme entre 1981 et 1986 : de 1971 à 1981, le pourcentage de « bilingues » français-anglais était passé de 27,6 % à 32,4 %, et en 1986 il a atteint 34,5 %. En 1986, un peu plus du tiers des Québécois déclaraient donc connaître les deux langues officielles (comparativement à moins de 10 % des habitants du reste du Canada). Ce pourcentage varie cependant considérablement d'une région à l'autre, comme le démontre le tableau 1.6. Selon les chiffres présentés dans ce tableau, le pourcentage de bilingues « cognitifs » varie de 13 % en Gaspésie à 51 % sur les îles de Montréal et Jésus et 54 % dans l'Outaouais. La croissance de ce type de bilinguisme entre 1981 et 1986 s'est manifestée dans toutes les régions, et à peu près au même rythme partout.
Si l'on additionne le pourcentage de bilingues au pourcentage de personnes ayant déclaré connaître seulement le français, on obtient le pourcentage de personnes connaissant au moins le français. Ce dernier pourcentage est également présenté dans le tableau 1.6. Il en ressort qu'en 1986, quelle que soit la région, la très grande majorité des Québécois seraient capables de soutenir une conversation en français : le pourcentage varie de 86 % (sur les îles de Montréal et Jésus) à quasiment 100 % dans la région de l'« intérieur ». Par contre, dans le reste du Canada, à peine 10 % de la population « connaît » le français. Les chiffres du Québec, en particulier ceux de Montréal, montrent bien les problèmes d'interprétation liés à la définition du bilinguisme utilisée par Statistique Canada. Si l'on devait se fier à ces chiffres, on devrait conclure qu'on pourrait converser en français avec près de neuf personnes sur dix choisies au hasard dans les rues de Montréal (et Laval). Le problème réside dans le caractère éminemment subjectif de l'évaluation qu'a un individu de ses capacités de soutenir une conversation dans une langue autre que la sienne. Il est manifeste qu'il y a une tendance systématique à surestimer ses propres capacités à cet égard. En outre, dans ce genre de question, la nature de la conversation et le profil de l'interlocuteur potentiel ne sont pas précisés; à cet égard également, les critères de référence utilisés par le répondant favorisent sans doute la capacité de bilinguisme que celui-ci s'attribue. Si nous avons introduit cette discussion sur le bilinguisme, ce n'est pas tellement pour compléter l'image qui se dégage en ce qui concerne la composition linguistique du Québec et de ses régions, c'est surtout pour pouvoir disposer d'une indication relative à l'importance des changements potentiels de langue d'usage au cours d'une période donnée. C'est pourquoi il nous faut désagréger les proportions de bilingues du tableau 1.6 selon la langue d'usage. Le tableau 1.7 est consacré à cette ventilation. Les francophones du reste du Canada sont, de loin, les plus bilingues (77 % le sont), alors que ceux du Québec constituent le groupe linguistique le moins bilingue (31 %). Au Québec, ce sont en effet les anglophones qui sont les plus bilingues (à raison de 58 %), suivi des allophones (44 %). À nouveau, il y a de très fortes différences régionales. C'est dans l'Outaouais que les francophones sont les plus bilingues; c'est d'ailleurs la seule région où ce groupe linguistique est le plus bilingue des trois. La proportion de bilingues parmi les francophones est également très élevée à Montréal-Îles, où les francophones sont d'ailleurs plus bilingues que les allophones. Il est clair que le degré de bilinguisme parmi la population francophone est fortement relié à l'importance de la présence anglophone. Les francophones sont bilingues là où cette présence est relativement importante, comme dans l'Outaouais, la région de Montréal et, dans une moindre mesure, les Cantons de l'Est. Lorsqu'il y a relativement peu d'anglophones, comme dans la région de l'intérieur, en Gaspésie ou dans le Nord, peu de francophones deviennent bilingues (à peine 15 %, voire moins). Ceci rejoint l'analyse de Lachapelle et Henripin (1980, p. 138-147) qui soulignaient le rôle croissant du bilinguisme dit de « proximité ». Celui-ci, couplé à un bilinguisme qualifié d'« inégalité » (lié aux avantages économiques et sociaux associés à l'anglais) toujours non négligeable, pousse les francophones à connaître l'anglais dès que le nombre d'anglophones présents dans une région devient relativement important.
Les anglophones ne connaissent pas le bilinguisme d'inégalité, mais sont évidemment, tout comme les francophones, soumis au bilinguisme de proximité. Il semble cependant qu'ils y soient moins sensibles que les francophones du reste du Canada, puisque, dans aucune des régions du Québec, la proportion de bilingues parmi les anglophones n'atteint le pourcentage observé dans le reste du Canada parmi les francophones. Il est significatif que les allophones ont, du moins en règle générale, une plus forte « propension » à être bilingue français-anglais que les francophones. En dehors de l'Outaouais, de Montréal-Îles et du Nord, où la population allophone, formée d'Amérindiens et d'Inuit, est très différente de celle du reste du Québec, les allophones sont nettement plus bilingues que les francophones. A priori, cela peut sembler surprenant, puisque les allophones ont, outre leur langue d'usage Si, au Québec, les allophones investissent dans une troisième langue, c'est bien sûr soit parce que, encore bien plus que les francophones, ils sont sensibles au bilinguisme d'inégalité, de telle sorte que, ayant choisi le français comme seconde langue (après la leur), ils veulent investir dans l'anglais comme troisième langue, soit parce que, ayant choisi l'anglais comme seconde langue, ils sont sensibles à un bilinguisme de proximité qui, cette fois, jouerait en faveur du français. Il est difficile de considérer que tous ces « bilingues », dont le bilinguisme est dû à leur propre évaluation favorable de leur capacité de soutenir en français et en anglais une conversation non autrement définie avec un interlocuteur tout aussi indéfini, soient tous des candidats à un changement de langue d'usage au cours de la prochaine ou des prochaines périodes quinquennales. Nombre d'entre eux sont d'ailleurs « bilingues » tout simplement parce qu'ils ont déjà effectué un changement de langue d'usage dans le passé, et continuent à « connaître » leur ancienne langue d'usage. Il ne nous semble donc pas que le fait de « connaître » une autre langue, dans le sens défini ici par Statistique Canada, puisse être considéré comme l'indice qu'un individu soit prêt à changer immédiatement de langue d'usage. Si l'on adoptait ce critère, il faudrait sans doute conclure que le tiers des Québécois (et sans doute la moitié des Européens...) sont prêts à adopter une autre langue d'usage. D'ailleurs, comme nous l'avons déjà souligné dans l'analyse critique des données linguistiques (section 1.1), les enquêtes semblent démontrer que les individus ont généralement tendance à surestimer leur connaissance de la langue seconde, et ce, davantage chez les anglophones que chez les francophones. Indépendamment de ce biais psychologique, le taux de bilinguisme supérieur des anglophones pourrait également s'expliquer par leur niveau plus élevé de scolarisation. Au total, il serait donc téméraire de considérer que le fait de « connaître » plus ou moins bien (ou, peut-être, plus ou moins mal) une seconde langue est un indice d'un changement prochain de langue d'usage. Par contre, le taux d'unilinguisme, c'est-à-dire la proportion de personnes d'un certain groupe linguistique qui ne « connaît » que l'une ou l'autre des deux langues officielles, peut avoir une certaine signification quant à la possibilité d'effectuer un changement de langue d'usage dans un avenir plus ou moins proche : un individu qui ne connaît guère une autre langue (en tout cas, pas suffisamment pour soutenir une conversation) a peu de chances d'adopter cette langue comme langue d'usage dans un avenir prévisible. Le tableau 1.8 présente, pour chacun des groupes francophones et anglophones, le pourcentage de personnes qui ont déclaré ne connaître que leur propre langue d'usage. Sous réserve des déclarations erronées (quelques personnes ont déclaré ne pas connaître la langue déclarée comme langue d'usage...) et des personnes dont la deuxième langue n'est pas l'autre langue officielle, mais plutôt une langue « autre », on doit obtenir, du moins pour les francophones et les anglophones, un chiffre de 100 % lorsqu'on somme le pourcentage de bilingues du tableau 1.7 au pourcentage correspondant d'unilingues du tableau 1.8. En 1986, près de 70 % des francophones du Québec ne connaissaient que le français, ce pourcentage variant de 45 % dans l'Outaouais et 51 % dans Montréal-Îles, à 88 % en Gaspésie. Le pourcentage d'unilingues francophones est en baisse partout, et cette baisse est particulièrement sensible à Montréal-Îles, région où les francophones se sont le plus « bilinguisés » entre 1981 et 1986. D'une façon générale, cependant, on peut conclure que, pour 70 % des Québécois francophones et pour la moitié des francophones des îles de Montréal et Jésus, il est pratiquement exclu qu'ils adoptent prochainement une nouvelle langue d'usage, dans la mesure où leur connaissance d'une autre langue est très réduite, voire nulle. La situation est différente en ce qui concerne les anglophones. Ceux-ci sont en majorité « bilingues », du moins selon leur déclaration, de telle sorte que seulement 37 % ont affirmé ne connaître que l'anglais. Il n'est sans doute pas sans intérêt de souligner que, même en dehors de Montréal, un pourcentage considérable d'anglophones peuvent vivre sans connaître le français : les unilingues anglophones représentent 41 % des anglophones des Cantons de l'Est, 47 % de ceux de l'Outaouais et 48 % de ceux de la Gaspésie. D'une façon générale, on peut cependant retenir des chiffres du tableau 1.8 que seulement une minorité (entre un tiers et 40 %) des anglophones ne font pas partie des candidats potentiels à un changement de langue d'usage. Cela ne signifie évidemment pas que les 57 % d'anglophones bilingues sont prêts à adopter le français comme langue d'usage. La problématique est évidemment plus complexe lorsqu'il s'agit des allophones, puisque ces derniers, s'ils ne sont pas bilingues français-anglais, peuvent connaître soit seulement le français, soit seulement l'anglais (comme nous nous intéressons ici aux possibilités d'effectuer un transfert vers le français ou l'anglais, nous n'avons pas à nous préoccuper des allophones qui ne connaissent ni le français, ni l'anglais : leur part est obtenue par résidu). On remarque à la lecture des tableaux 1.7 et 1.8 qu'entre 1981 et 1986, les allophones sont devenus nettement plus bilingues français-anglais, leur part passant de 37 % à 39 % dans l'ensemble du Québec et de 40 % à 43 % à Montréal-tes. Cependant, parmi les allophones qui ne connaissent qu'une seule langue seconde, le français représente maintenant le choix d'une légère majorité, contrairement à 1981 où c'était l'anglais qui était légèrement privilégié.
Il faut cependant interpréter cette évolution avec prudence, la procédure de répartition des déclarations de langues d'usage multiples en 1986 pouvant avoir influencé nos résultats. Ceux-ci sont cependant suffisamment nets pour qu'on leur accorde quelque crédit, surtout lorsqu'on considère le contexte historique. La période considérée (1981-1986) est en effet la première période entière au cours de laquelle la « loi 101 » aura été en vigueur. Au cours de cette période, la grande majorité des enfants des immigrants allophones ont fréquenté l'école française. Normalement, ces enfants sont capables de « soutenir une conversation » en français. Une analyse selon le groupe d'âge (non développée ici) montre qu'effectivement, c'est au sein du groupe des 5-19 ans que s'est produit l'essentiel du renversement : les deux tiers de la diminution de l'effectif d'allophones connaissant seulement l'anglais comme seconde langue sont concentrés dans ce groupe d'âge, et le tiers de l'augmentation de l'effectif d'allophones ne connaissant que le français comme seconde langue se retrouvent dans ce même groupe. On peut donc déceler un effet positif de la Il y a cependant un pas important entre fréquenter l'école française par obligation légale et être prêt à changer de langue d'usage. On ne devrait pas, en effet, négliger le fait qu'en 1986 comme en 1981, plus de la moitié des allophones d'âge scolaire (5-19 ans dans notre classification des groupes d'âge) se déclarent (ou ont été déclarés) « bilingues français-anglais » (51 % en 1981, Il nous semble donc raisonnable de conclure qu'il serait téméraire d'utiliser l'information censitaire sur la « connaissance » déclarée des deux langues officielles pour obtenir une indication quant à la propension des individus à effectuer, dans un avenir prochain, un changement de langue d'usage. Le fait de connaître une langue autre que sa propre langue d'usage est, bien sûr, une condition nécessaire pour changer de langue d'usage, mais c'est loin d'être une condition suffisante pour un tel transfert linguistique, surtout lorsqu'on sait ce que recouvre le terme « connaître ». Par contre, l'information sur les langues d'usage multiples pourrait nous être précieuse à cet égard. On peut en effet supposer que ce sont les personnes qui ont déclaré parler deux ou plusieurs langues d'usage au moment du recensement qui sont les plus susceptibles de changer de langue d'usage au cours des prochaines années. On pourrait même aller plus loin et avancer que, pour qu'un individu puisse parler la langue Y dans cinq ans, par exemple, alors qu'aujourd'hui il parle la langue X, il lui faut aujourd'hui parler à la fois les deux langues. En d'autres termes, on peut supposer qu'un individu n'adoptera pas comme langue d'usage unique une langue qu'il n'utilisait déjà pas conjointement avec une autre un certain nombre d'années auparavant. Le tableau 1.2, qui présentait (entre autres) la proportion de déclarations de langues d'usage multiples, a permis de constater qu'en 1986, dans l'ensemble du Québec, 4,3 % des individus avaient déclaré utiliser deux ou plusieurs langues, ce pourcentage variant de 1,4 % (en Gaspésie) à 8,1 % (à Montréal-Îles). Ces déclarations multiples ont été réparties en déclarations Au total, Si l'on accepte cette approche selon laquelle il faut déjà, pour adopter une nouvelle langue d'usage, la parler à la maison (parmi d'autres) depuis un certain nombre d'années, il est alors clair que le nombre potentiel de changements de langue d'usage au cours d'une période censitaire quinquennale est très réduit. Cela est d'autant plus vrai que les changements de langue d'usage se font normalement surtout à certains moments de la vie. Rares sont sans doute les changements après
Il est évident qu'approcher le problème du bilinguisme par le biais du bilinguisme d'usage aboutit à une sous-estimation du nombre potentiel de changements de langue d'usage, tout comme l'approcher par le biais du bilinguisme cognitif aboutit à une surestimation. La vérité est certes entre les deux, mais la difficulté est que les deux bornes sont très éloignées puisque, selon la définition adoptée, le pourcentage de « bilingues » (incluant les plurilingues) varie de 4 % à 35 %. Dans une perspective de court et moyen termes, qui permet d'introduire le temps d'apprentissage d'une langue, et tenant compte du fait que la grande majorité des changements de langue d'usage se font sans doute aux âges jeunes et aux premiers âges adultes, on peut raisonnablement avancer l'hypothèse que le marché potentiel des transferts est plus proche de la borne inférieure de 4 % que de la borne supérieure. Nous reviendrons sur cette question lors de l'analyse de la mobilité linguistique et lors de la préparation des hypothèses relatives à l'évolution future de cette mobilité. Notre examen du bilinguisme au sein de la société québécoise nous aura à tout le moins permis d'obtenir quelques premières indications. | |||||||||||||||||||||