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Babillard
LA LANGUE DES QUÉBÉCOIS, C'EST LE FRANÇAIS
Depuis quelques mois, des articles parus dans Cyberpresse et dans d'autres médias québécois laissent entendre que le Conseil supérieur de la langue française prépare un avis sur la norme du français en usage au Québec. Jacques Maurais (1) écrit qu'« un groupe de linguistes qui sont influents auprès du Conseil » m'aurait convaincu de faire « la promotion d'une langue québécoise standard ». L'avis, qui devait être remis au cours de l'automne à la ministre responsable de l'application de la Charte de la langue française, madame Christine St-Pierre, définirait la variété de français devant être retenue comme référence pour la langue de l'administration et de l'enseignement (2).
Qu'en est-il exactement?
Il est important de faire la lumière sur nos intentions. Rappelons la teneur du communiqué de presse (3) publié le 11 mars 2008 en réaction au dépôt du Rapport sur l'évolution de la situation linguistique au Québec 2002 à 2007 produit par l'Office québécois de la langue française.
Le Conseil annonçait alors, d'une part, qu'il remettrait à la ministre, avant la fin de juin 2008, un avis portant sur :
- l'intégration et la francisation des immigrants en milieu de travail, notamment dans les petites et moyennes entreprises (moins de cinquante employés);
- la francisation de base des immigrants;
- l'apprentissage du français chez les jeunes immigrants qui fréquentent les ordres d'enseignement primaire et secondaire.
L'avis fut déposé le 26 juin 2008.
D'autre part, dans le même communiqué, le Conseil manifestait son intention de « poursuivre sa réflexion sur d'autres thèmes découlant du rapport, notamment la langue du travail, la maîtrise et la qualité de la langue, les rapports entre langue d'usage à la maison et langue d'usage public ». Il n'a donc pas été prévu de produire un avis sur la norme linguistique de référence pour le Québec, et le Conseil ne pense pas qu'il soit possible de le faire.
Il est cependant utile de rappeler, en l'explicitant, la position de notre organisme en matière de norme de référence, en prenant appui sur des documents qu'il a déjà publiés.
Dans un avis datant de 1991 recommandant la création d'un dictionnaire du français québécois, le Conseil écrivait : « S'il est évident que les Québécois tiennent à avoir une description de leurs usages linguistiques, il est tout aussi certain qu'ils ne veulent pas se couper du français international. (4) »
Huit ans plus tard, dans l'avis Maîtriser la langue pour assurer son avenir, le Conseil, prudemment, affirmait :
« Dans les circonstances, le Conseil s'en tient à la notion de langue correcte ou d'usage correct, qui se caractérise par une prononciation surveillée, le souci des niveaux de langue, la propriété des termes et le respect de la grammaire. Nous croyons que c'est là une solution qui peut convenir à tous, car, dans la plupart des cas, il est possible de s'entendre sur ce qui est linguistiquement correct ou incorrect; pour les cas douteux, qui sont statistiquement peu nombreux ou peu fréquents, des ouvrages de référence, grammaires ou dictionnaires, permettent généralement de se faire une opinion(5). »
Dans une note, on identifie langue correcte à langue standard, terme qui « qualifie toute forme de langue qui fonctionne comme norme de référence, parce que reconnue dans une communauté linguistique en tant qu'étalon de correction (6) ».
Il faut également rappeler la position de l'Office québécois de la langue française concernant la forme standard d'une langue comme le français, telle qu'elle est exposée dans la Politique de l'officialisation linguistique (texte approuvé par l'Office en 2001, mis à jour en mars 2004 et accessible sur son site (7)). Le Conseil y souscrit. Cette politique régit l'ensemble des travaux terminologiques effectués à l'Office, particulièrement ceux qui conduisent à l'adoption des avis de normalisation et de recommandation :
« On entend par forme standard d'une langue celle qui est décrite dans les principaux ouvrages lexicographiques, terminologiques et de grammaire. Pour ce qui est des dictionnaires de langue générale, sauf en ce qui concerne les emplois socialement moins valorisés [...], tout mot est considéré comme appartenant à la forme standardisée de la langue, dont les emplois marqués « au Québec », « en Belgique », « en Suisse », etc. « La langue française appartient à ceux qui la parlent, l'écrivent et l'enrichissent de par le monde, dans les provinces de France, en Suisse, en Belgique, au Luxembourg, au Québec, aux Antilles, en Océanie, en Afrique noire, dans de nombreux pays arabes... La langue française est riche de son unité mais aussi de ses variantes régionales » (Le petit Larousse illustré 2004, p. 4). La forme standard de la langue comprend donc à la fois les usages généraux et les usages régionaux qui ne sont assortis d'aucune autre marque d'usage associée à un registre de langue moins soigné. »
Je reprenais une position similaire dans une conférence prononcée au XIIe Congrès mondial de la Fédération internationale des professeurs de français, à Québec, le 25 juillet 2008 (8). En voici un extrait :
« La grande diffusion du français lui a fait prendre des colorations particulières et différentes selon les pays, les couches sociales ou les époques. Le mythe d'une seule et même langue pour tous n'a plus sa place, et les francophones doivent élaborer une stratégie de la variation linguistique qui s'articule autour d'un noyau central et assure l'intercompréhension entre les pays francophones, cette nécessité de l'intercompréhension constituant d'ailleurs la limite à la variation. Ce noyau central, la langue que l'on doit transmettre, c'est le français. Les francophones désirent conserver cette sorte d'unité symbolique de la langue. Cette vision de norme internationale commune du français mais modulée selon la société qui le parle continue, selon nous, de faire l'objet d'un large consensus au Québec. L'enseignement de la langue française tel qu'il est proposé dans les écoles québécoises va dans le sens du respect de cette norme, particulièrement sur le plan de la grammaire, de l'orthographe et du vocabulaire. »
Quelle est donc la position actuelle du Conseil sur le sujet? On peut rassurer ceux qui craignent que l'on fasse la promotion de la « langue québécoise » en l'opposant à la langue française. Le Conseil ne retient d'ailleurs pas ce genre d'opposition. La langue que l'on doit maîtriser, c'est la langue française, c'est le français qui assure le lien avec l'ensemble du monde francophone, avec ses outils de référence. La langue des Québécois, c'est le français; un français comportant des modulations particulières, mais le français quand même.
Bien entendu, cette ouverture face à la variation géographique du français n'est pas une invitation au laxisme. Dans notre esprit, il est clair qu'on ne peut acquérir la maîtrise du français qu'au prix d'un apprentissage exigeant. On doit pouvoir en appliquer les codes orthographique et grammatical, en connaître la syntaxe, être en mesure de manier un vocabulaire riche et précis. Il faut également être capable d'utiliser les registres de langue appropriés aux différentes situations de communication.
À sa séance du 20 février 2009, le Conseil supérieur de la langue française a étudié un document faisant état de manière élaborée de sa position sur cette question de norme de référence et sur le concept associé de maîtrise de la langue. Le texte sera rendu public et déposé sur le site Internet du Conseil au printemps 2009.
(1) « Langue québécoise ou langue française? », Le Devoir, [opinion], 29 décembre 2008.
(2) Lionel MENEY, « Il n'y a que des avantages. Tout porte à croire que le Québec va trancher en faveur du français standard international », La Presse, [opinion], 18 janvier 2009.
(3) Accroître la cohésion sociale autour du français langue commune.
(4) L'aménagement de la langue : pour une description du français québécois. Rapport et avis au ministre responsable de l'application de la Charte de la langue française, Québec, Conseil de la langue française, 1991, p. 50.
(5) Maîtriser la langue pour assurer son avenir. Avis à la ministre responsable de l'application de la Charte de la langue française, Québec, Conseil de la langue française, 1998, p. 10.
(6) Pierre KNETCH, « Langue standard », dans Marie-Louise MOREAU (sous la direction de), Sociolinguistique. Concepts de base, Sprimont, Mardaga, 1997, p. 194.
(7) Politique de l'officialisation linguistique, p. 8 et 9.
(8) « Le français, langue de la diversité des peuples et des cultures ».