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Pour en apprendre un peu plus sur les finalistes du prix littéraire Émile-Ollivier 2013...
Entrevues avec les finalistes du prix littéraire Émile-Ollivier 2013 remis par le Conseil supérieur de la langue française (CSLF)
Pierre-André Doucet
Crédit photo : Elaine G. Fancy
CSLF : Sorta comme si on était déjà là est votre premier recueil. Le jury du prix Émile-Ollivier l’a qualifié d’œuvre très personnelle. Comment avez-vous réussi à créer des tableaux aussi intimes?
Pierre-André Doucet : À la base, je suis d’avis qu’on écrit ce qu’on connaît. Partant de cette idée, pour alimenter ma plume, je puise dans mon environnement, mes connaissances, mon vécu (jusqu’à un certain point), pour ensuite décortiquer, analyser, transformer, traduire… J’explore des thématiques avec lesquelles j’ai une affinité particulière : l’identité, le déplacement, l’exil, la sexualité, la musique. C’est un peu simple comme réponse, mais, pour moi, la seule façon d’écrire, c’est d’être honnête dans mon approche et d’espérer que le lecteur se sente interpellé par le résultat.
CSLF : Vos origines acadiennes sont très présentes dans le recueil. Maintenant que vous habitez Montréal, comment qualifiez-vous votre attachement envers l’Acadie?
Pierre-André Doucet : Même après six années d’exil, je dis encore être « basé à Montréal » plutôt que d’y habiter. Quoique mon pied-à-terre y rassemble de plus en plus mes vêtements, mes livres et mes « gogosses » multiples, et que mon « chum » et notre chat m’y attendent toujours patiemment, je voyage assez fréquemment et je suis souvent à Moncton pour des projets ou bien pour y passer du temps en famille. L'Acadie sera toujours mon chez-moi, toujours le lieu qui m'habitera. Cela étant dit, l'exil soulève plusieurs questions que j'aborde dans mes écrits et auxquelles je ne pense pas encore avoir trouvé de réponses satisfaisantes : comment s’intégrer à une société sans renoncer à son identité? Comment vivre son « acadienneté » en milieu majoritaire, tout en étant encore vu comme « l’autre »? Pourquoi traîner le poids de la différence? Comment contribuer au projet de société acadien à partir de l’extérieur du créneau des provinces de l’Atlantique? Par moments, ce sont des questionnements qui peuvent peser lourd; alors, pour moi, écrire cette réalité, c’est aussi alléger un peu ce fardeau, le partager avec autrui et maintenir un lien avec mes racines.
Claude Guilmain
Crédit photo : Louise Naubert
CSLF : Votre récit, Comment on dit ça, « t’es mort », en anglais?, se distingue par son style unique, sa structure singulière et sa voix d’auteur affirmée. Comment la structure, à la limite du fragment, s’est-elle imposée à vous? Comment décririez-vous le processus qui vous a mené à écrire ce récit?
Claude Guilmain : L’écriture de ce récit s’est faite sans réflexion ni idées préconçues. J’ai écrit ces textes à la suite des décès consécutifs de mon frère et de mon père. Une écriture automatique, en apparence incohérente, mais dont le fil conducteur est l’incommunicabilité. Les images fragmentées sortent de moments vécus de mon enfance, des souvenirs qui ont refait surface pour souligner, ironiquement, l’incompréhension entre ces trois hommes.
CSLF : Vous habitez Toronto. Est-il facile pour vous d’y créer en français? Quelle place occupe la dualité français-anglais dans votre processus créatif?
Claude Guilmain : Je n’ai aucune difficulté à créer en français. À Toronto, c’est la diffusion de création théâtrale en français qui demeure toujours un grand défi. Je suis biculturel. Mon écriture reflète donc cette réalité.
Gilles Lacombe
Crédit photo : Jules Villemaire
CSLF : Un petit roman incertain est une œuvre de prose poétique très singulière, au style unique et « déjanté », comme l’a décrite le jury. À votre avis, qu’est-ce que le public va en retenir?
Gilles Lacombe : Le lecteur en retiendra peut-être l’image très bigarrée, étrangement logique et précisément décousue de la pensée d’un personnage aux prises avec les pensées des autres et tout ce qu’il a déjà entendu dire. (Alors qu’il désire apparemment écrire un roman, ses pensées et ses désirs prennent bizarrement une allure romanesque.) Le lecteur sera peut-être sensible aux oscillations du texte entre le comique et le sérieux, entre la répétition et la nouveauté. Il y verra peut-être une réflexion sur le temps, sur la durée du discours et ses conséquences romanesques. Il sera peut-être attiré par la dimension parodique du texte, à l’égard de la philosophie et de la poésie, par exemple. Il y discernera peut-être une critique du roman, les nombreux clins d’œil qui lui sont adressés, le foisonnement des allusions et leurs transformations ludiques. Il sera peut-être ému par la fin heureuse (un peu trop, d’ailleurs) et par l’envol aéroportuaire, angélique, d’un canari rédempteur.
CSLF : Votre recueil propose aussi en annexe une généreuse sélection d’illustrations qui complètent votre poésie. On dit qu’une image vaut mille mots. Quels rapports entretient la poésie avec la peinture dans votre création?
Gilles Lacombe : La vingtaine de dessins contenus dans le livre ne sont pas placés à l’intérieur du texte, mais après celui-ci, de sorte que peinture et poésie sont clairement séparées. Par contre, ces images ne sont pas des représentations réalistes ou conventionnelles d’un passage du texte, mais des interprétations ludiques, de la même façon que le texte forme, déforme et transforme les pensées du personnage ainsi que celles des autres dont il se souvient. En ce sens, les dessins prennent le relais du texte et nous montrent le travail créateur, déformateur, de métamorphose de l’imaginaire.
Pierre Raphaël Pelletier
Crédit photo : Jules Villemaire
CSLF : Le temps qui passe et la nostalgie occupent une place importante dans votre récit intitulé Entre l’étreinte de la rue et la fièvre des cafés. Les amitiés que vous avez tissées au fil des ans et la famille sont également très présentes. Est-ce que ce livre constitue pour vous un moyen de perpétuer votre mémoire?
Pierre Raphaël Pelletier : Non, pas vraiment. Je pense que j’ai écrit ce livre plus par compassion que par nostalgie. J’y relate certaines incartades de ma jeunesse, j’y côtoie certains personnages mi-fictifs mi-réels, j’y raconte des passages nourris par les histoires extraordinaires vécues par les personnes qui ont gravité autour de moi. Il faut savoir tendre l’oreille pour prendre conscience de toutes les petites épopées qui se déroulent au quotidien autour de nous. C’est ça la création, c’est le nœud de la compassion. Créer est la porte d’entrée vers l’humain, et c’est justement ce qui nous rapproche de l’autre et ce qui nous nourrit. À l’heure actuelle, avec la mondialisation, la surconsommation, on est en train de tuer l’humain dans l’humanité. On a bloqué une des fonctions naturelles de l’homme, celle de créer. Et pourtant, c’est la voûte de l’humanité. Il faut revenir à la compassion, à la création avec soi et avec les autres.
CSLF : Vous avez travaillé auprès de nombreux organismes artistiques et culturels francophones au Canada. Selon vous, quelles valeurs devraient être promues pour assurer le rayonnement et la vitalité de la langue française au Canada?
Pierre Raphaël Pelletier : J’ai effectivement travaillé pendant plus de vingt ans pour faire valoir les droits des artistes francophones au Canada. Pour moi, il est primordial qu’engagement et création se conjuguent, particulièrement dans le cas des communautés francophones minoritaires du Canada. Les artistes de ces communautés et même ceux du Québec doivent se sentir engagés fondamentalement pour créer, car il ne faut pas oublier qu’au centre de la culture, il y a le langage. C’est lui qui structure la réalité. Sans lui, nous n’avons plus de véhicule pour faire avancer notre culture.
Anne-Marie White
CSLF : Alors que votre pièce Écume a été mise en scène pour la première fois en 2007, le texte n’a toutefois été publié que l’an dernier. Pourquoi? Est-ce que votre pièce a beaucoup évolué au fil des ans et des représentations théâtrales? Est-il difficile pour vous de fixer de façon définitive le texte d’une de vos pièces?
Anne-Marie White : Au départ, Écume était un projet plus proche de l’œuvre chorégraphique que du théâtre. Lors des premières explorations d’Écume, en 2006, le spectacle évoquait plus qu’il ne racontait. Au fil du travail avec les acteurs et les concepteurs, une histoire plus linéaire s’est imposée, et j’ai eu envie de la raconter. Accompagnée de Dominique Lafon aux conseils dramaturgiques, j’ai fouillé les personnages et tissé des dialogues à partir desquels la nouvelle version du spectacle a été conçue, en 2010. Le texte d’Écume a été difficile à fixer jusqu’à la dernière minute parce que, oui, il a continué d’évoluer chaque fois qu’on le reprenait. Et comme Écume a eu plusieurs vies, avec plusieurs distributions, je n’ai pas voulu figer l’écriture. En fait, je l’ai fait pour l’édition. Je ne dirais pas, par contre, qu’il s’agit de « ma façon de travailler ». Écume a été grandement nourrie par les créateurs qui y ont travaillé. Pour mon deuxième texte, Déluge, l’écriture n’est pas arrivée du tout par le même chemin, et le texte a été fixé beaucoup plus rapidement (bien que le spectacle, lui, continue d’évoluer).
CSLF : Le théâtre occupe une place importante dans votre vie, puisque vous êtes également directrice artistique du Théâtre du Trillium, à Ottawa. Avez-vous déjà songé à utiliser une autre forme d’écriture que celle vouée au théâtre?
Anne-Marie White : Oui, j’y ai songé et j’y songe souvent. Si je n’avais pas les fonctions que j’occupe actuellement tant sur le plan professionnel qu’en tant que mère de famille, j’irais fort probablement explorer l’écriture romanesque, la nouvelle, l’écriture de chansons, les livres de recettes thématiques, pourquoi pas! Mais pour l’instant, mon écriture n’a le temps de se concentrer qu’au théâtre… et aux demandes de subvention! Loin de moi l’idée de me plaindre. Je suis reconnaissante de pouvoir vivre du théâtre, peu importe la diversité des tâches qu’il me faut faire pour y arriver.